À 74 ans, Jean Guidoni tire sa révérence, emporté par une « maladie fulgurante » qui l’a fauché en quelques jours.

À 74 ans, Jean Guidoni tire sa révérence, emporté par une « maladie fulgurante » qui l’a fauché en quelques jours.

Jean Guidoni en concert à Ivry-sur-Seine en 2018.

Bordeaux, 21 novembre 2025. À 74 ans, Jean Guidoni tire sa révérence, emporté par une « maladie fulgurante » qui l’a fauché en quelques jours. Figure singulière et hypersensible de la chanson française, cet artiste sulfureux – voix grave, silhouette androgyne, univers théâtral et radical – s’éteint dans la ville qu’il avait choisie pour refuge, laissant un public fidèle orphelin de son « opéra pour homme seul ». Dernier spectacle au Café de la Danse à Paris le 24 juin dernier, où il chantait encore Je marche dans les villes avec une énergie intacte. Son attachée de presse, contactée par l’AFP, confirme : « Il est parti ce matin, paisiblement, entouré des siens. » Un deuil qui résonne comme un silence théâtral, au milieu d’une discographie écorchée où la vie se danse sur le fil du rasoir.

De Marseille à Paris : un coiffeur qui devient poète maudit

Jean Guidoni, chante le miroir de sa vie, "Avec des si" | France Musique

Né Jean-Gui dans une famille modeste de Toulon en 1951, fils de marin corse, Guidoni grandit à Marseille. D’abord coiffeur de nuit dans la vie effervescente phocéenne – un métier qui nourrit déjà son regard sur les marginaux –, il monte à Paris en 1975, porté par un rêve fou : chanter. Premier 45 tours, La Leçon d’amour, passe inaperçu. Puis la rencontre décisive : Pierre Philippe, critique de cinéma adaptateur de Fassbinder, devient son parolier. Ensemble, ils forgent un univers expressionniste : textes sombres, voix caverneuse, mise en scène théâtrale où Guidoni joue avec les codes de la féminité – maquillage outrancier, robes extravagantes, performances qui flirtent avec le cabaret berlinois.

Son premier album éponyme (1977) signe un triple concept avec Francis le Marquis et Georges Coulonges, boosté par des guests comme Michel Legrand. Mais c’est en 1982 que l’alchimie explose : Crime Passionnel, mis en musique par Astor Piazzolla, le maître du tango moderne. Un « opéra pour homme seul » où Guidoni hurle l’amour criminel, la solitude et la mort – Mort à Venise, Tramway terminus nord, Je marche dans les villes. L’album, écorché vif, séduit un public de niche : intellectuels, fans de cabaret, ceux qui cherchent du frisson dans la poésie brute. « C’était un cri théâtral contre la fadeur », résume un proche à Le Monde.

Une carrière en marge : provocation, collaborations et un public fidèle

Toujours à l’écart des charts commerciaux, Guidoni refuse les compromis. Séparation avec Philippe ? Il prend la plume lui-même, aidé par Michel Legrand pour des albums comme Madrigal (1993). Puis, en 2007, La Pointe Rouge : feat avec la nouvelle garde – Dominique A, Philippe Katerine, Jeanne Cherhal, Mathias Malzieu. Un pont entre générations, où sa voix rauque croise l’électro-rock. Son 17e opus, Eldorado(s) (avril 2025), défendu au Café de la Danse en juin, prouve qu’à 73 ans, il brûlait encore : textes sur l’exil, l’amour impossible, et une énergie qui défiait le temps. « Je me sens chanceux de pouvoir continuer », confiait-il récemment à We Culte, après avoir flirté avec l’arrêt en 2018 : « J’en avais marre de la compétition. »

Sur scène, son fief : les Bouffes du Nord, où il explosait en exubérance – plumes, paillettes, cris cathartiques. Un univers provocateur qui choquait les bien-pensants : « Blanc ou noir, jamais gris », clamait-il. Un public fidèle, conquis par cette hypersensibilité qui transperçait les masques.

Un deuil qui émeut : « Un poète radical qui osait tout »

La nouvelle tombe comme un silence après un final théâtral. Dominique A : « Jean, tu étais un frère d’armes, un cri dans le désert. » Philippe Katerine, complice : « Ton humour noir me manque déjà. » À Bordeaux, où il s’était installé pour la douceur de vivre, les hommages affluent : une veillée improvisée au Rocher de Palmer, son QG local. Pas de funérailles grandioses – Guidoni détestait le spectacle gratuit –, mais un enterrement intime, suivi d’une soirée hommage au Bataclan en 2026.

Jean Guidoni n’était pas une star de masse. Il était un alchimiste : tango argentin, cabaret berlinois, poésie corsée de Fassbinder. À 74 ans, il s’en va, laissant un vide sulfureux. La chanson française pleure un marginal qui, en refusant les codes, les a redessinés. Merci, Jean. Ton opéra solo continue d’échoir.